Comment vieillir sereinement quand l’avenir du travail pour les seniors est remis en cause ?
Tribune de Priscillia Rossi, fondatrice de Leihia
À l’heure où la réforme des retraites fait l’objet d’intenses débats, combinée aux nouvelles règles d’indemnisation de France Travail, la question de l’emploi des seniors devient fondamentale.
La nouvelle loi pour les seniors au chômage (ceux âgés de plus de 50 ans) rebat considérablement les cartes de l’emploi. Auparavant, les demandeurs d’emploi de plus de 55 ans bénéficiaient de l’allocation de retour à l’emploi (ARE) jusqu’à épuisement de leurs droits, ou l’âge limite de départ à la retraite ou encore la liquidation de leur retraite anticipée à taux plein pour certaines catégories de personnes. Les salariés de plus de 55 ans voient leurs indemnités plafonnées à 22,5 mois et 27 mois pour les 57 ans et plus. Désormais un allocataire devra attendre 64 ans pour maintenir son allocation jusqu’à obtention de son taux plein. Si l’on y cumule la réforme de la retraite avec le recul de l’âge légal de départ à 64 ans et une durée de cotisation de 43 ans dès 2027, que peut-il advenir de nos séniors ?
La réalité est qu’aujourd’hui la France peine à employer les séniors : seulement 33 % des 60-64 ans sont aujourd’hui en emploi en France (source : Insee). Une exclusion qui s’explique, en partie, par des préjugés sur leur adaptabilité aux nouvelles technologies et leur capacité à suivre le rythme du monde numérique.
En 2021, les personnes de 55-64 ans représentaient 16,8% de la population active, et toujours selon l’INSEE, dès 2025 la population active devrait atteindre son pic de vieillissement avec 35% de la population qui aura 50 ans ou plus. En 2020, le nombre de personnes âgées de 60 ans et plus a dépassé celui des enfants de moins de 5 ans.
Alors comment ne pas s’interroger sur le paradoxe de la réforme ?
Comment ne pas craindre un appauvrissement réel des seniors et de leurs conditions de vie ?
Ne craint-on pas de voir nos ‘’vieux’’ seuls, isolés ? Sans la moindre vie sociale ou solidarité ?
Comment résoudre ce paradoxe à l’heure où les métiers des services à la personne attirent que peu de candidats et représentent l’un des secteurs les plus en tension ?
Une réforme des retraites sans inclusion ? Une aberration sociale et économique
Alors que la réforme des retraites propose de repousser l’âge de départ, nous constatons l’absence de mesures concrètes pour favoriser l’emploi des seniors. Retarder la retraite sans leur garantir une employabilité durable n’aura que des effets limités sur le marché du travail. Sans une stratégie dédiée, nous risquons de voir de plus en plus de seniors contraints de quitter le monde du travail, faute d’opportunités adaptées.
Selon le Conseil d’Orientation des Retraites (COR), la prolongation de la vie professionnelle doit être accompagnée de mesures pour l’adaptation des postes et la formation continue des seniors. Car sans cette évolution, repousser la retraite ne sera qu’un échec, avec des travailleurs âgés non inclus, voire excluants.
Que fait-on concrètement ?
Je le demande sans polémique aucune à nos instances gouvernementales… Comment gérer l’ennui, le découragement des seniors, la charge émotionnelle forte à se sentir inutile sur ce marché de l’emploi… Quelles mesures propose-t-on réellement pour permettre à nos séniors de vivre dignement jusqu’à l’âge légal de départ en retraite, et après ?
Je m’interroge sur le rôle des entreprises dans l’inclusion des seniors.
Le rôle des entreprises dans l’inclusion des seniors
Les entreprises ont une responsabilité mais ne portent pas LA responsabilité de l’emploi des seniors et de leur maintien dans des conditions de vie décentes.
Je suis convaincue que l’inclusion des seniors doit se traduire par des actions concrètes, des aménagements de postes, et une formation continue pour les adapter aux nouvelles technologies. Leur intégration ne doit pas seulement répondre à des besoins immédiats ; elle doit également soutenir une cohésion intergénérationnelle. Nous observons dans les pays nordiques, par exemple, une politique proactive envers les seniors, qui se traduit par un taux d’emploi des 55-64 ans bien supérieur à celui de la France (source : OCDE). Cela montre qu’une approche inclusive est non seulement possible, mais aussi bénéfique pour la productivité et la cohésion sociale.
Alors quelles aides concrètes sont mises en place pour recruter et former nos seniors ?
Proposer un contrat de professionnalisation pour les demandeurs d’emploi de 45 ans et plus… Il permet d’obtenir une aide pouvant aller jusqu’à 2.000 euros par salarié et l’exonération partielle des charges sociales. Cela ne s’applique que pour l’apprentissage d’un nouveau métier. Comment cela puisse être un avantage de repartir de zéro avec une rémunération minimale quand on est âgé de 50 ans ? Comment imaginer que ce dispositif peut contribuer à l’estime de soi des seniors ? Le débat est ouvert.
Connaissez-vous le CDD senior ? Créé en 2006, il ne concerne que les 57 ans et plus. Ce CDD ne peut excéder 18 mois. Je m’interroge sur son utilité réelle quant à l’employabilité à long terme des seniors.
Le CUI (contrat d’insertion unique), trop encadré, complexe à mettre en œuvre, il ne fédère pas loin sans faute. En chute libre depuis 2022, il représente moins de 100.000 bénéficiaires en France.
Ces actions sont-elles suffisantes quand on plonge nos seniors dans une précarité qui semble programmée et inévitable ?
Bien sûr que non !
Des solutions existent et pour ce faire, il faut réviser de façon pragmatique les conditions d’accès à l’emploi ; les droits à la retraite ; en même temps que la valorisation des entreprises qui recrutent des seniors.
Donner aux seniors une place centrale dans notre société et nos sociétés
Il est essentiel d’aborder la question des seniors non comme une charge, mais comme une richesse sociale et professionnelle. En valorisant leur contribution et en leur offrant des opportunités adaptées, nous contribuons à bâtir une société où l’expérience et la jeunesse collaborent pour innover, se soutenir, et grandir ensemble.
Proposer un CDI sénior
La question a été soulevée pendant les négociations sur la réforme des retraites pour être finalement invalidée par le conseil constitutionnel. Mais pourquoi ?
Nous pouvons créer un équilibre démographique tout en mobilisant les compétences intergénérationnelles.
Un CDI avec des conditions d’emploi assouplies pour nos seniors, une réduction des charges salariales en contrepartie d’une mobilisation de formation. Voilà ce que je recommande ! Et pourquoi cela ne pourrait-il pas fonctionner ?
Quoi qu’il en soit, il est presque trop tard, nous sommes toutes et tous concernés par l’appauvrissement de la population liée à des mesures que j’ose nommer d’anti sociales et sociétales.
Quand réagirons-nous ? Ouvrirons-nous juste les yeux sur cette réalité qui est : le vieillissement de la population, les difficultés vis-à-vis de l’emploi et des mesures qui visent à nuire au bien vieillir.
En conclusion
Alors que la réforme des retraites est remise en question, qu’elle peine à trouver majorité dans l’hémicycle, que notre Premier Ministre, 73 ans (!) conscient sans doute de son injustice absolue, tente ‘’d’ouvrir le débat sur l’amélioration de cette loi pour les personnes le plus fragiles’’, comment pouvons-nous agir et réagir ?
En prenant la parole comme je le fais humblement ce jour, car il en va de la préservation de nos conditions de vie, de nos enfants et petits-enfants.
Si j’ai la chance d’être lue quand je publie une tribune alors contactez-moi, je suis prête à défendre l’intérêt de notre pays face à une double réforme nuisible dans le pays des droits de l’homme.
Je terminerai par ces mots qu’il est crucial de redonner aux seniors la place qu’ils méritent dans nos entreprises et notre société. La prolongation de la carrière doit s’accompagner de politiques d’inclusion véritables, car l’avenir de la France ne peut pas se construire sans eux. Le bien vieillir pour tous est une urgence sociale et sociétale que nous devons toutes et tous défendre.